À propos de l’article
Dans le cadre de la théorie de la niche écologique, l’environnement agit comme un filtre et sélectionne les espèces d’une communauté locale. Le concept de filtrage environnemental explique que tous les organismes ne peuvent pas s’établir et persister dans tous les environnements. Les études qui examinent les relations entre les traits fonctionnels et l’environnement soutiennent souvent l’idée que les gradients environnementaux agissent comme des pressions sélectives filtrant les espèces d’arbres et, par conséquent, leurs traits fonctionnels. Par exemple, le long d’un gradient topographique où la disponibilité en eau et en nutriments varie, les espèces d’arbres se positionnent différemment et leur abondance fluctue en fonction des ressources. Cependant, certaines études ne trouvent pas forcément de relations fortes entre les traits fonctionnels et l’environnement. Dans notre article, nous expliquons alors pourquoi, en mettant l’accent sur trois points clés qui peuvent expliquer ces résultats contrastés.
Premièrement, les équipes de recherche étudient trop souvent les traits un par un, alors que la performance de la plante est contrôlée par l’interaction de plusieurs traits fonctionnels au niveau de la plante entière. Dans notre article, nous pensons que les approches multivariées sont essentielles pour comprendre comment les traits se combinent pour construire les stratégies des espèces à travers les gradients environnementaux. Nous avons décidé d’étudier la force des corrélations entre les traits, également appelée intégration des traits, qui peut être aussi importante que la variance ou l’étendue des valeurs des traits pour comprendre la distribution des espèces et la structure des communautés.
Deuxièmement, de nombreuses analyses se concentrent sur les traits structurels qui n’expliquent que très peu les processus sous-jacents du fonctionnement des plantes. Ici, nous avons examiné des traits plus mécanistes qui nous permettent de comprendre plus finement la réponse des arbres face aux pressions environnementales.
Troisièmement, les études précédentes se concentrent souvent sur des valeurs moyennes des traits, mais la variabilité intraspécifique des traits est de plus en plus reconnue comme un facteur clé influençant les niches et les distributions des espèces.
En tenant compte de ces points, nous essayons dans cet article d’affiner notre compréhension sur la manière dont le filtrage environnemental, à l’échelle locale, façonne les traits fonctionnels, offrant ainsi un aperçu des stratégies des espèces tropicales dans différents environnements.
À propos de la recherche
Cet article s’inscrit dans le cadre du projet Metradica, financé par le Labex CEBA et dirigé par Clément Stahl (INRAE, UMR, Ecofog) et Ghislain Vieilledent (Cirad, UMR AMAP), vise à modéliser et comprendre la distribution des espèces en Guyane dans le contexte du changement climatique. Cet article constitue également le deuxième chapitre de ma thèse, encadrée par Clément Stahl, Heidy Schimann (INRAE, UMR Biogeco) et Sabrina Coste (Université de Guyane, UMR Ecofog). Le travail sur le terrain, la mesure des traits fonctionnels, le nettoyage des données et l’analyse ont occupé une grande partie de mon doctorat, et la collecte des données a été difficile car la plupart d’entre elles ont été réalisées pendant la pandémie de COVID.
Dans cette étude, nous avons mesuré neuf traits fonctionnels foliaires chez 552 individus appartenant à 21 espèces d’arbres tropicaux, catégorisés soit comme des espèces généralistes, soit comme des espèces spécialistes (de forêts de bas-fond ou de terre firme). Il a fallu de nombreuses discussions et réunions pour parvenir à un consensus sur le caractère généraliste ou spécialiste d’une espèce d’arbre !
Nos résultats ont révélé que les conditions environnementales, en particulier la disponibilité en eau, influencent l’intégration des traits plutôt que les traits individuels seuls. Contrairement à notre hypothèse, nous avons constaté que les espèces vivant en bas-fond présentent une plus grande intégration des traits, ce qui suggère que l’excès d’eau, présent dans les sols gorgés d’eau, impose une contrainte hydraulique importante aux plantes. Ce résultat remet en question l’accent traditionnellement mis sur la sécheresse comme principal facteur de stress pour les arbres tropicaux, en soulignant l’importance de l’excès d’eau comme moteur significatif des stratégies des plantes dans ces habitats. Un autre résultat surprenant a été l’observation que les espèces généralistes ne présentent pas une plus grande variabilité intraspécifique des traits, mais elles modifient plutôt l’intégration de leurs traits en fonction de l’environnement, illustrant ainsi un syndrome de traits flexibles. Si les espèces généralistes sont capables de s’établir dans une large gamme d’habitats, elles semblent s’adapter en modifiant la coordination de leurs traits.
Pour de futures recherches, il est essentiel d’étudier plus avant la manière dont les espèces réagissent aux seuils environnementaux tels que l’engorgement et d’étudier les mécanismes physiologiques qui déterminent la coordination des traits dans les différents habitats. Ces connaissances peuvent être intégrées dans les modèles de distribution des espèces afin de prédire comment les espèces se déplaceront en réponse au changement climatique, fournissant ainsi des informations essentielles pour la conservation de la biodiversité.
À propos de l’auteur
J’ai toujours été très intéressée par la physiologie des plantes, et d’autant plus lorsque j’ai commencé à étudier la botanique tropicale, captivée par la diversité des formes de feuilles! Après avoir terminé mes études d’ingénieur en horticulture en France, je voulais approfondir mes connaissances en écologie tropicale. Cette curiosité m’a conduit à poursuivre une thèse en Guyane à l’UMR EcoFog, sur les stratégies fonctionnelles et le microbiote des arbres tropicaux dans le contexte du changement climatique. Après avoir soutenu ma thèse avec succès en décembre 2023, je suis maintenant en contrat postdoctoral dans le laboratoire de Christine Scoffoni à California State University, Los Angeles. J’étudie aujourd’hui la coordination des traits hydrauliques des feuilles et des racines. Grâce à mes recherches et à mon goût pour l’enseignement, je m’efforce d’approfondir notre compréhension collective de la physiologie végétale et de partager ces connaissances afin de mieux répondre aux grandes questions de l’écologie forestière.